mercredi, janvier 12, 2005

La détresse et l'enchantement

Gabrielle Roy vit à Londres. L'hiver et gris, la seconde guerre mondilae se profile. Elle même est aux prises avec des sentiments douleureux. Et puis un matin très tôt...

(Extrait: "La détresse et l'enchantement" Chapitre VII

"Quand je sortis, prenant seule mon chemin vers l'underground, il faisait nuit.Ce devait être le 15, peut-être le 16 février. Je ne suis plus sûre de la date exacte. Par ailleurs, le temps ne m'a rien dérobé de la délicate surprise qui me saisit le coeur lorsque, tout à coup, en passant devant mon tilleul, j'entendis le doux bruit inusité qu'il émettait. Je ralentis le pas, levai le regard et crus rêver. Mon vieux tilleul était couvert de feuilles. Oh, bien petites encore, à peine entrouvertes,tout justes venues au monde, mais c'étaient bien elles qui, toutes frêles qu'elles étaient, frémissaient dans la nuit tiède, s'essayant à consoler le coeur.

Un ravissement qui ne me semble pas avoir eu d'égal à la naissance d'aucun autre printemps de ma vie. Sans doute c'était sa soudaineté qui m'avait tellement impressionnée. À peine quelques heures auparavant, le vieil arbre au bord du trottoir était comme mort. Et voici qu'à la lueur d'un réverbère proche, je pus capter le luisant des ses jeunes feuilles qui se retournaient vers ce peu de lumière. La joie qui m'inonda était elle-même une naissance, mon propre retour à la vie, et c'est en la recueuillant que je sus à quel point j'avais été, à bien des égards, comme morte."



Gabrielle Roy

© 1984 Les Éditions du Boréal


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vendredi, janvier 07, 2005

Écrire

(Extrait :)

"Quand vous commencez à écrire une histoire, vous êtes comme un voyageur qui a vu de très loin un château. Dans l'espoir de l'atteindre, vous suivez un petit chemin qui descend au flanc d'une colline vers une vallée couverte de forêt. Le chemin se rétrécit et devient un sentier qui s'efface par endroits, et vous ne savez plus très bien où vous êtes rendus; vous avez l'impression de tourner en rond.

De temps en temps, vous traversez une clairière inondée de soleil, ou vous franchissez une rivière à la nage. Au sortir de la forêt, vous escaladez une petite montagne. Parvenu au sommet, vous apercevez le château, mais c'est sur la colline suivante qu'il se trouve, et il est moins beau que vous ne l'aviez cru: il fait penser à manoir ou à une grande villa.

Sans perdre courage, vous descendez encore une fois dans une vallée, vous traversez une forêt obscure en suivant un sentier presque invisible, puis vous grimpez au sommet de la colline et, à bout de force, vous arrivez enfin devant le château.

En réalité ce n'est pas un château, ni un manoir, ni même une villa: c'est plutôt une vieille maison délabrée et, curieusement, elle ressemble beaucoup à celle où vous avez passé votre enfance."


Jacques Poulin
"Le vieux chagrin"
p.62

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